La gestion des compétences cachées
Si la gestion des compétences se limite aux seules informations de la fiche de fonction, la DRH passe totalement à côté des véritables capacités de chacun. En effet, pour accomplir sa mission, chaque acteur de l'entreprise ne se limite pas aux compétences répertoriées et identifiées. Il met aussi en actions des compétences cachées qui n'apparaissent pas formellement. C'est grâce à ces multiples talents que l'entreprise peut fonctionner.
Le talent provient de l'originalité, qui est une manière spéciale de penser, de voir, de comprendre et de juger. Guy de Maupassant
La DRH et la gestion prévisionnelle des compétences
Face à la pénurie de compétences disponibles sur le marché pour de nombreux métiers, il est plus qu'utile de bien cerner le capital "compétences" disponible dans l'entreprise. Cependant, celui-ci mériterait de ne pas se limiter aux seules compétences précisées dans la fiche de fonction. Chaque salarié dispose de compétences dites cachées qui lui permettent de remplir sa mission, et ce, quel que soit le poste occupé.
En toute logique, chaque compétence se doit d'être utilisée, autant selon l'intérêt de l’entreprise que celui du salarié. Ces deux objectifs ne sont pas nécessairement concomitants. Inéluctablement, des divergences émergent au fil du temps.
Ces divergences se traduisent parfois par une rupture, notamment si les ambitions du salarié sont frustrées par les exigences de l'entreprise.
Pour la Direction des Ressources Humaines, l’adéquation entre les attentes de l’entreprise et les aspirations de chaque salarié est une préoccupation de tous les instants. C’est sous cet éclairage que devraient être définies les affectations aux nouveaux postes ainsi que les campagnes de formation.
Mais avant d'aller plus avant, une mise au point s'impose afin de mieux apprécier l'importance de la question soulevée par cet article de fond.
Mise au point pour ceux qui n'ont rien compris au fonctionnement d'une entreprise
S'imaginer que l'entreprise ne fonctionne que grâce à des organigrammes bien dessinés pour définir précisément les rôles, les responsabilités et évidemment les relations hiérarchiques tout en cloisonnant au passage l'entreprise dans un archaïsme que l'on pourrait supposer dépassé au XXIe siècle est
une première erreur.
Supposer que la création de valeurs est le fruit de procédures bien élaborées, de bonnes pratiques sélectionnées et d'une quête sans fin de standardisation dans une pure logique taylorienne est la seconde erreur.
Celle-ci est d'ailleurs copieusement nourrie autant par les démarches qualité normalisées qui n'ont de "qualité" que le nom, que par le recours aux méthodes de management (excellence opérationnelle - attention les chevilles ! - lean management, six sigma, méthodes agiles, etc.) toujours déployées dans le sens vertical, du haut vers le bas, top -> down.
Jamais au grand jamais on ne demandera l'avis des salariés (qui devront subir la transformation) sur justement la question de la justesse de la transformation ! On préfère parler d'accompagnement du changement et de pédagogie, sous-entendu que s'ils résistent c'est qu'ils n'ont rien compris.
👮 Hop ! Le doigt sur la couture du pantalon ! Je ne veux voir qu'une tête !
En réalité, ce sont les salariés qui sont au charbon qui assurent le bon fonctionnement des entreprises. Ce sont eux qui sont chargés d'ajuster le travail réel avec le travail prescrit en supportant toutes les invraisemblables difficultés que ce décalage entre le théorique et le concret entraîne (une réalité soigneusement étudiée par Christophe Dejours).
Ce ne sont pas des prescriptions, des normes ou des règles, aussi contraignantes soient-elles, qui assurent l'accession aux objectifs. Non. C'est le goût du travail bien fait que partagent la très large majorité des professionnels quels que soient le métier ou la position hiérarchique qui permet d'atteindre d'absurdes objectifs de performance, absurdes puisqu'ils sont fixés sans connaître la réalité du travail (voir "Ce que sait la main" de Richard Sennett).
Dans un monde d'incertitude et de complexité, ce sont les salariés de terrain qui créent la valeur et la qualité, la vraie, celle que l'on délivre naturellement grâce à son amour du travail bien fait.
Et ce, non pas en respectant les procédures à la lettre, mais bien en prenant son temps (de moins en moins possible malheureusement), en s'accordant une once de liberté dans sa tâche afin de libérer son talent (toujours plus difficile). C'est aussi en partageant et en échangeant avec leurs pairs qu'ils parviennent à trouver des solutions aux problèmes du quotidien, imprévisibles par définition (cloisonner pour accroître son pouvoir est une absurdité bien connue mais paradoxalement toujours d'actualité).
En conclusion de cette mise au point, ce sont justement les
compétences cachées, puisqu'elles n'apparaissent pas dans les fiches de fonction, qui font tourner l'entreprise. Il serait temps d'en prendre conscience !
La gestion idéale des compétences des salariés
Imaginons une
entreprise idéale, en tout cas idéale au sens de la qualité de la gestion des femmes et des hommes. Dans cette entreprise, la DRH sait mesurer avec précision le potentiel de compétences des salariés, leur savoir-faire et leur savoir-être. Connaissant les besoins précis de l'entreprise, présents et futurs, elle peut alors proposer la meilleure adéquation "rôle" <-> "compétence".
Toujours dans ce cas idéal, la DRH sait aussi bien identifier les besoins futurs et déclencher ainsi, au bon moment, les campagnes de recrutement, anticiper l'obsolescence des métiers, et proposer les formations adéquates.
Elle pourra alors évaluer pour chaque besoin présent et futur de l’entreprise, l’opportunité de recruter ou de démarrer des campagnes de formation pour pallier à l’obsolescence des compétences disponibles.
La DRH dans la vraie vie
Mais dans la vrai vie, ce n'est pas si simple. Notamment, il faudrait encore que la DRH soit au courant des
grandes lignes stratégiques de l'entreprise. À la condition bien entendu que l'entreprise ait elle-même construit une ligne stratégique bien arrêtée.
Court-termisme
Il faudrait aussi que la gestion par les coûts ne soit peut-être pas jetée aux oubliettes, mais en tout cas mise à l'arrière-plan, pour ne pas se priver de réels talents en raison d'une simple vision comptable à court terme. Les économies sans vision d'avenir, le court-termisme donc, sont la plaie de la survie des entreprises.
Quelles sont les compétences cachées les plus communes ?
Pour poursuivre en ce sens, il est extrêmement difficile d'identifier, et de formaliser, ce que l'on pourrait appeler les compétences cachées, celles qui n'apparaissent pas sur la fiche de fonctions, et sans qui les entreprises ne pourraient pas fonctionner malgré ce que peuvent en penser les rationalisateurs à tous crins.
Citons notamment :
Le goût de l'entraide
C'est-à-dire la faculté des salariés à échanger et à s'entraider le plus naturellement du monde, au-delà des organigrammes bien dessinés, au coeur d'un groupe de travail, mais aussi au sein d'un réseau relationnel privé construit au fil du temps, qui fait fi des frontières fictives des services et divisions.
Voir ici
le management par l'entraide Ne jamais perdre de vue que l'humain est un être social, et c'est bien l'esprit d'entraide qui lui a permis de survivre et de se développer jusqu'à notre époque.
-
Le coup de pouce aux nouveaux
Le sens de la responsabilité et le goût pour former les derniers arrivés, alors que rien n'a été prévu pour mettre le pied à l'étrier du nouvel embauché.
-
La capacité à communiquer
Le nerf de la guerre c'est l'information. Et c'est bien une compétence cachée de premier ordre que de savoir collecter l'information au-delà de la sphère spécifiée par les fiches de fonctions avec les autres professionnels, en interne comme en externe et de développer son relationnel en permanence. C'est une compétence indispensable, mais impossible à formaliser.
La mesure de la performance individuelle
Un texte, au format PDF, où sont étudiés les ravages de la prééminence de la mesure de la performance individuelle en entreprise. Cette perception, tronquée de la performance, ne voit pas les compétences cachées. Une métaphore, les abeilles et la production de miel.
Trouver les bonnes idées
Et enfin le talent magique, que possèdent bien des salariés, pour trouver la bonne idée qui parviendra à démêler l'écheveau des problèmes et débloquer la situation présente, inextricable en apparence.
Attention à votre gestion des compétences. Tous ceux qui n'ont pas compris l'importance des compétences cachées, et ils sont très nombreux, font des ravages lors des restructurations.
Présentation détaillée du livre "la transformation démocratique de l'entreprise"
L’auteur
Alain Fernandez est un spécialiste de la mesure de la performance et de l’aide à la décision. Au fil de ces vingt dernières années, il a conduit et accompagné de nombreux projets d'entreprise en France et à l'International. Il est l'auteur de plusieurs livres publiés aux Éditions Eyrolles consacrés à ce thème et connexes, vendus à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et régulièrement réédités.
Ressources web
À ce sujet, voir aussi
- Culture du résultat, les effets pervers
Manipulations et dévoiement de la stratégie sont intrinsèquement liés à l'essor absurde de la culture du résultat. Dans ce contexte, lorsque la performance est matérialisée par un indicateur unique, ce n'est plus la performance que l'on cherche à améliorer mais l'information portée par l'indicateur.
- Testez vos compétences
Chacun d'entre-nous est seul juge de la maîtrise de ses compétences. Il ne suffit pas de disposer des connaissances pour être compétent. Un jeune diplômé frais émoulu de l'université possède bien des connaissances. Mais comme il ne les a jamais mises en pratique, il n'est pas encore compétent. Voyons comment tester ses compétences en s'inspirant du modèle de Stuart et Hubert Dreyfus.
- Comment fausser les indicateurs de performance ?
Il n'est pas bien difficile de faire dire tout et son contraire aux indicateurs de performance. Mais où s'arrête l'information et où commence la manipulation pour un parfait enfumage ? Les pros de l'entourloupe ont plus d'un tour dans leur sacs pour trafiquer les indicateurs ou fausser leur interprétation...
À lire...
Un travail de fond sur l'importance de reconnaître les compétences visibles et cachées de chaque acteur de l'entreprise si l'on souhaite bâtir des organisations réactives comme le suggère l'innovation managériale...
Les Tableaux de bord du Manager Innovant
Une démarche en 7 étapes pour faciliter la prise de décision en équipe
Alain Fernandez
Editeur : Eyrolles
Pages : 320 pages
Prix : 25 Euros
EAN : 978-2212569285
Dispo :
Une analyse sans concession des réalités du travail en entreprise et du rôle des Ressources Humaines...
DRH, le livre noir
Jean-François Amadieu
Éditions Le seuil
236 pages
Dispo :
www.amazon.fr
Les principes de la mesure de la performance et méthode pour concevoir et réaliser votre propre système d'aide au pilotage. La démarche s'applique pour toutes les fonctions de l'entreprise, dont bien sûr la Gestion des Ressources Humaines...
Les nouveaux tableaux de bord des managers
Le projet décisionnel en totalité
Alain Fernandez
Éditions Eyrolles -
495 pages - 6ème éd.
Dispo :
www.amazon.fr & Format Kindle
www.eyrolles.com &
Format Ebook PDF ou ePub
Voir aussi...
Partagez cet article...
(total partages cumulés > 145)