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Les ratés de l'approche processus

Mise à jour le 16 septembre 2023  Par
Depuis déjà bien des années, et ce bien avant l'engouement francophone pour le "Lean Management", l'optimisation des processus de l'entreprise se résume à l'élimination systématique du supposé "gras excédentaire" sensé pénaliser la valeur ajoutée.
Il n'est que temps de réfréner les plus extrémistes de la méthode pour prendre le temps de s'attarder sur le métier et sa pratique. Il serait en effet dommageable de sectionner un nerf essentiel en taillant dans le supposé "gras" de l'organisation sans prendre les précautions de rigueur.
Voyons un exemple concret pour mieux comprendre cette importante problématique.

Lorsque l'on rationalise les processus sans bien comprendre les métiers

Management des processus, exemple vintage Les apôtres de la rationalisation extrême, adeptes entre autres d'un lean management sans concession, sont toujours aux aguets pour débusquer le "gras excédentaire" ou le trop fameux "maillon faible" d'un processus qui jusqu'ici marchait correctement.

Vous savez ce fameux petit maillon de rien du tout qui passe totalement inaperçu au regard du profane.

Taillons dans le gras !

Selon ces experts du "maigre", votre problème c'est le "gras en trop" qui cache ce petit maillon. C'est en tout cas ainsi qu'ils le perçoivent sur le tableau Excel. Effectivement, il coûte et rapporte peu. En tout cas moins qu'attendu. Donc il faut sabrer. Cette activité à elle toute seule fragilise la rentabilité totalité de la chaîne, donc du processus en examen, donc la création de valeurs et de plus-values. En tout cas, c'est ainsi qu'ils le voient et c'est ainis qu'ils le présenteront à la direction.

Une fois le processus identifié, il s'agit de le nettoyer de toutes les fioritures inutiles pour le laisser dans son plus simple appareil. Un nettoyage par le vide en quelque sorte. C'est la supposée recette de l'efficacité.

Quand le pouvoir passe des ingénieurs aux gestionnaires..

Coup d'oeil Pour Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste français, fondateur de la psychodynamique du travail, le changement a eu lieu au cours des années 90 quand le pouvoir est passé des "ingénieurs" aux "gestionnaires". Les premiers connaissaient les métiers, les seconds ne voient que les chiffres et visent que des objectifs d'économie productiviste. Plus tardivement, On retrouve le même basculement dans le milieu hospitalier où le pouvoir est aussi passé des "techniciens", les médecins, aux gestionnaires avec le résultat que l'on connait. Voir ici "le Lean à l'hôpital"

Les processus et la loi du grain de sable

Mais en procédant sans discernement, on ne fait rien d'autre que de réinventer l'usine industrielle à papa avec ses lignes d'assemblage où tout est bien huilé, bien réglé. Et ça roule, c'est vrai.

En tout cas tant qu'on ne change pas de logique et qu'aucun grain de sable ne se glisse dans la mécanique. De toute façon ce jour là, les preux consultants sont déjà partis vers d'autres succès. A toi les emmerdes.

Au cours de mes pérégrinations, j'en ai connu quelques-uns de ces fameux "maillons faibles". C'est vrai que sur le plan de la productivité directe, ce n'était pas vraiment cela.

Recentrage sur le coeur de métier, un cas de "terrain"

Je me souviens d'ailleurs d'un sous-traitant de l'aéronautique qui, en suivant soigneusement les conseils des consultants spécialistes de la rationalisation des processus, avait entrepris un recentrage sur son coeur de métier. Autrement dit, il s'était débarrassé des activités à faible rentabilité, un dégraissage dans les règles.

Truc de pro Se recentrer sur le "coeur de métier" est vraisemblablement légitime encore faut-il maîtriser un peu l'anatomie pour bien comprendre qu'un coeur ne sert pas pas à grand chose une fois isolé des organes connexes.

En quelques années, il en avait profité pour éjecter les vieux routiers porteurs d'une tradition ouvrière qui, à en croire les économistes, n'a plus sa place dans un monde globalisé.

Il était en effet plutôt alléchant de les remplacer par de plus jeunes, plus flexibles qui ne comptent pas les heures et ne regardent pas de trop près le chiffre en bas de la fiche de paye. De toute façon, ils n'ont pas le choix. C'est ça ou le pointage à Pôle Emploi. Et profiter de la pléthore de la main d'oeuvre, n'est-ce pas appliquer les lois du marché ? Les concurrents ne procèdent-ils pas ainsi ?

Mais pas de pot.

Encore faut-il savoir où se loge la valeur ajoutée

Parmi les activités à faible valeur ajoutée supprimées, il y avait la réalisation de pièces spécifiques unitaires et de prototypes. C'était la spécialité des fameux ouvriers "excédentaires". Le principal donneur d'ordre privilégiait cette entreprise tout simplement parce qu'il savait qu'il disposait d'un service de confiance et de qualité.

Une fois celui-ci disparu, l'entreprise se retrouva dans le cirque de la concurrence et contrainte de participer à la course aux prix bas. Alors, si inutile que cela le gras excédentaire ? Et le maillon faible, où était-il ?
Il y a plusieurs façons de regarder un processus. Encore faut-il ôter les oeillères.

Le "facteur humain", vous connaissez ?

Bien sûr, bien sûr tout le monde ne procède pas ainsi. Il y en aussi qui tiennent compte du facteur humain et complètent l'approche process-centric d'une composante Human-centric.
N'en doutez pas.
Cela dit, ceux de la première catégorie décrite dans ce billet sont tout de même majoritaires. Logique. Lorsqu'une restructuration se traduit par des licenciements, les gains sont immédiatement palpables.
A noter : Bien que l'exemple choisi pour illustrer le propos soit puisé dans le secteur industriel, les mêmes comportements se retrouvent à l'identique dans celui des services.

Le recentrage sur le coeur du métier et la chasse au maillon faible me font penser à une autre légende : l'entreprise orientée client.

L'entreprise orientée client, une bonne blague marketing ?

Les anciens s'en souviennent, il y a quelques années, avant que le concept "d'entreprise orientée client" dans la dynamique qualité soit remplacé par celui "d'expérience client", il était de rigueur de citer la phrase de Henry Ford, le père de la consommation de masse : "Chaque client pourra acheter une voiture de la couleur de son choix à partir du moment ou il choisit le noir" ou quelque chose d'approchant. Cette formule mise en perspective avec la multitude d'options des véhicules proposés sur le marché était censée matérialiser la rupture.
Et pourtant.
La crise passée a mis en évidence les difficultés structurelles et non seulement conjoncturelles du secteur automobile. Les véhicules fabriqués ne correspondaient pas aux goûts des acheteurs.

Alors nous aurait-on menti avec l'entreprise orientée client ?

Les clients ? À coup de pub on va leur apprendre ce qu'il faut aimer

Oui, un peu. A mon avis, pour produire des véhicules à forte rentabilité les constructeurs ont plutôt pratiqué ce constat :"Pourquoi devrions-nous écouter les clients alors qu'il suffit de leur indiquer à coup de pub et de marketing ce qu'ils doivent aimer ?
Mais, il faut croire que cela ne marche qu'un temps, il faut aussi savoir renouveler ses slogans... Et ses produits !

Poursuivons encore cette rationalisation à l'extrême des processus renforcée aujourd'hui par les technologies Internet avec un exemple de centre d'appel pour l'industrie du Fast Food.

Rationalisation des processus : centres d'appel et fast-food

Drive in et drive thru

Les "drive in", mythiques restaurants, symbole US des fifties, ont pratiquement disparu pour laisser place aux "drive through".
Dans un drive in, vous étiez servi directement dans votre voiture. La minette de service se déplaçait pour prendre la commande, puis fixait un plateau amovible contre la portière afin que vous puissiez consommer sans quitter votre voiture.

Le drive through ou thru pour allez plus vite, est le concept de rationalisation des flux de consommateurs pratiqué par les grandes chaînes de restauration rapide. Pour ceux qui, comme moi, ne fréquentent pas les Mac Do et autres Burger machin, je rappelle succinctement le principe.

Sans quitter votre voiture, vous passez votre commande depuis un poste d'entrée en utilisant le micro prévu à cet effet. Le temps de faire le tour du bâtiment, votre commande est préparée et vous la récupérez et la payez au point de livraison, juste avant de reprendre la route, bien dans l'axe de sortie.

On rationalise tous les flux, quels qu'ils soient

Voilà une bonne rationalisation des flux. Un flux de clients d'un côté qui ne traînent pas trop, un flux de hamburgers de l'autre et le responsable d'établissement qui contrôle les débits et temps de travail à la seconde près depuis son tableau de bord temps réel.

Pourtant, aux yeux de Mr Mac Donald, ce n'est pas encore suffisant.
Entre deux commandes, entre le moment où le premier client, son ordre transmis, redémarre vers le poste de livraison et celui où le client suivant s'avance jusqu'au micro, il s'écoule 10 secondes.

Dix précieuses secondes où le préposé, grassement payé (6,75$ soit 5,5 € de l'heure, sans assurance médicale), se tourne les pouces, se décrotte le nez, lit deux trois lignes de son roman, enfin bref ne travaille pas. Multiplié par le nombre d'établissements à l'enseigne, imaginez donc la perte de gains ! 10 secondes + 10 secondes + encore 10 secondes. Pfoouf ... Je n'ose pas compter. Mais, heureusement les consultants spécialistes ont rapidement trouvé la solution : le centre d'appel.

Leitmotiv : on ne perd pas une seconde !

Avec le faible coût des communications et le développement de l'Internet, les préposés à la prise de commandes n'ont nul besoin d'être présents sur place et peuvent très bien être regroupés dans un centre d'appel.
Lorsque le client passe sa commande, il discute en fait avec un employé situé à plusieurs centaines de km. Connecté par Internet, le Mac Do concerné reçoit directement la commande.
Ainsi, pendant ces fameuses 10 secondes et bien... le préposé sert un autre client prêt à passer commande dans un autre Mac Do du vaste pays. Affaire réglée. Le flux de commandes est sans rupture. Et de plus, c'est tout de même un jeu gagnant gagnant. L'employé interviewé conclut ainsi : "Au moins, lorsque je rentre chez moi, je ne sens pas le hamburger...."
Source : le New York Time relayé par El Pais

Taylor's still alive

Jusqu'à la dernière décennie, il était de bon ton de citer les propos de Robert Solow "You can see the computer age everywhere but in the productivity statistics." Il semblerait que depuis le gap soit comblé. S'il est vrai que les évolutions du Web dans mobilisent les passions des spécialistes de la réorganisation à tout crin depuis les années 2000 et quelques, l'OST 2.0 (Organisation Scientifique du Travail) profitant, plein pot de la dématérialisation, avance calmement mais sûrement. Taylor's still alive.

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Pour en finir avec le mépris, principe délétère du management d'hier et d'aujourd'hui

Auteur : Alain Fernandez
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L’auteur

Alain FernandezAlain Fernandez est un spécialiste de la mesure de la performance et de l’aide à la décision. Au fil de ces vingt dernières années, il a accompagné nombre d'entreprise en France et à l'International. Il est l'auteur de plusieurs livres publiés aux Éditions Eyrolles consacrés à ce thème et connexes, vendus à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et régulièrement réédités.
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Commentaires des premiers lecteurs

C'est vrai que l'analogie avec la chaine a ses limites. Enfin...tout dépend l'angle qu'on prend. A mon avis le maillon faible ne mérite pas d'être supprimé mais de voir sa "capacité" accrue. Quitte a rester dans l'imagé, je pense que la résistance de la chaine est donc plus importante que son poids. Quant à l'entreprise orientée client tout dépend de savoir si on entend "tirée par le client" ou "ne pensant qu'à vendre le produit au client". Au final il est certain que le résultat n'est pas le même.
Ecrit par : Bertrand Duperrin

Bien vu, Bertrand, il était important de préciser. Il faudra d'ailleurs que je trouve le temps de revenir sur le propos pour bien lever les ambiguïtés et élargir un peu le thème.
Ecrit par : afz

Cher Perf, Que penses-tu des méthodologies de projet type celles proposées par le Project Management Institute, qui décortique tout projet en 5 groupes de processus (Démarrage, Planification, Exécution, Surveillance & maîtrise et Cloture) Moi je trouve que ça donne un cadre, une boussole. Surtout que le PMI insiste bien sur le fait que c'est de la responsabilité du chef de projet de choisir les processus et le niveau de rigueur à appliquer à son projet en fonction de l'environnement, de son entreprise, des objectifs etc... Un cadre de cette sorte ne peut pas nuire non ?
Ecrit par : Monsieur J

Bien sûr que non que ça ne nuit pas, c'est même recommandé à partir du moment où on a l'intelligence d'y glisser ce qu'il faut de bon sens.
Ecrit par : afz

Effectivement, appliquer aveuglément des processus mène aussi surement à la catastrophe que de partir à l'aventure... Le PMI va toutafait dans ce sens.
Ecrit par : Monsieur J

Ah, ces questions sur l'homme et la rentabilité ! (Un éternel débat, ici - comme toujours - bien présenté.) Que faire de la stratégie ? Une usine a besoin de gagner en efficience et de gonfler sa rentabilité : très bien. Faire tout aussi bien avec moins de coûts, pour gagner plus d'argent sur un marché. Ok. Qui, là dedans, a pensé à la stratégie ? La stratégie, c'est l'art de bien se placer, dans un contexte de guerre. Et de gagner. Je vois que le ventre mous des ouvriers experts a été réduit, provoquant sûrement des drames humains. Il a enlevé, comme le signale Alain, la vraie valeur de la boîte : son facteur qui la distingue à la hausse, la rend visible, compréhensible, sollicitable lors d'appels d'offres. Il peut très bien y avoir un effet de marque (prestige, technicité, particularité des offres et de leur rapport avec l'utilisation voire l'imaginaire des clients). Un dirigeant aurait pu se demander quelles étaient les opportunités, quels étaient les rapports de force à tenir et les moyens de toucher un marché. Aujourd'hui, demain, ailleurs. Ces ouvriers étaient peut-être chers (eu égard à l'ensemble des ressources de la boîte), ils savaient en tout cas singulariser l'entreprise, par un savoir-faire, un avantage compétitif. Gageons, en outre, qu'ils étaient une part de l'histoire, de la culture, de même qu'une filière d'intégration pour les stagiaires. (Ajoutons, en outre, un facteur motivationnel pour les collègues, sûrement heureux de compter chez eux des anciens, allez savoir.) Un scoring des ressources de l'entreprise l'aurait peut-être montré. Qui sait ?
Ecrit par : Lionel

Bien vu Lionel, c'est exactement ainsi que cela se passait dans cette boite.
Ce que je cherche à dénoncer ici, ce sont 2 types de comportement propres à pas mal de spécialistes du consulting d'entreprise.
Le premier, c'est la quête du gain rapide. Si tu expliques à un patron que tu es capable de faire mieux pour moins cher, que tu habilles bien ton discours, tu as toutes les chances d'emporter le morceau. Alors la stratégie, c'est sûr et je suis d'accord avec toi. Mais tu vendras tjrs plus facilement un plan de restructuration comportant une part de réduction des coûts et pour cela rien de plus facile que de supprimer les supposés "moins productifs" et ce, que le plan soit associé ou non à une stratégie de conquête ou de conservation des acquis. Les gains sont immédiats. Les cost killers auront toujours un bel avenir. Le film "Ressources Humaines" était assez intéressant sur ce point.
Le second, Ce les cabinets de consulting qui se comportent comme de véritables produits d'importation US (ils y sont légion) . Adeptes des outils de management, ils sont persuadés de disposer dans leurs besaces de la solution standard à tous les problèmes.
A plus
Ecrit par : afz

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