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Une entreprise libérée n'est pas une coopérative

Toute entreprise, quel que soit son secteur d’activité, se doit de réaliser un profit si elle veut perdurer. La question est de savoir « comment » et « pour qui » on réalise ce profit. L’entreprise « dite libérée » semble réfléchir à la question du « comment » on réalise le profit. En redéfinissant notamment la notion de propriété et de répartition du pouvoir, la coopérative va plus avant et répond aussi à la question de « pour qui » on réalise le profit.

Entreprise libérée Vs Scop, il n'y a pas photo !

cooperative entreprise libérée, il n'y a pas photo L’entreprise « dite libérée » est aujourd’hui bien connue et semble être la panacée de l’organisation du XXIème siècle, en tout cas selon ses thuriféraires.

Une chose est sure, c’est qu’une entreprise libérée n’est pas une coopérative.

Il ne s’agit en aucune manière de mettre en place une démocratie participative dans l’entreprise, ni une autogestion et encore moins de partager la propriété.

L’entreprise libérée est plutôt une tentative de récupération du besoin légitime d’émancipation des salariés d’aujourd’hui, habitués à communiquer d’égal à égal, et qui ne se sentent pas à leur place dans une entreprise traditionnelle appliquant un management hiérarchique et autoritaire. Développons tout cela.

Les fondamentaux de l'entreprise libérée

Dans cet article, on se fonde aussi sur les principes de l'Holacratie, telle que la décrivent et la promeuvent Brian J. Robertson et Tony Hsieh, voir la bibliographie en fin d'article.

Réduction des fonctions support

L’entreprise libérée prône comme principe numéro 1 la réduction drastique des fonctions de support.
Cette réduction drastique des fonctionnels jugés comme « non productifs » puisqu’ils ne contribuent pas directement à la création de valeurs est tout à fait salutaire lorsque ces derniers s’imaginent que leur mission consiste à imposer sans réflexion des règles contraignantes, à fabriquer des métriques dans tous les sens et à filtrer systématiquement l’information.

Elle est en revanche totalement néfaste dès lors que les fonctionnels remplissent correctement leurs rôles de support, d’assistance et de formation des salariés et des équipes, d’amélioration des processus et des modes de travail, un rôle dévolu habituellement aux Ressources Humaines, au QSE (Qualité, sécurité Environnement) ou au contrôle de gestion pour ne citer que les principaux.

Suppression du management intermédiaire

L’entreprise libérée prône comme principe numéro 2 la suppression des niveaux hiérarchiques intermédiaires.
L’aplatissement de la pyramide, véritable serpent de mer des théories de l’organisation, est bien évidemment nécessaire afin de fluidifier les échanges d’informations et de responsabiliser les équipes de terrain.

En revanche, il est absurde de supprimer tous les managers intermédiaires sans discernement. Le management intermédiaire, ce n’est pas uniquement l’image d’Épinal du petit chefaillon pointilleux qui contrôle et qui s’accorde un pouvoir de jugement arbitraire.

C’est aussi celui qui assure l’interface avec les clients, qui filtre les « perturbateurs extérieurs », qui s’assure que les ressources seront bien là au bon moment, bref celui qui protège l’équipe au travail. Supprimer cet échelon, c’est nécessairement le remplacer par des avalanches de procédures et de contrôles.

D’autre part, si l’entreprise libérée supprime les niveaux intermédiaires et les fonctionnels, ce n’est pas pour alléger le contrôle. Celui-ci est en effet exercé en interne par les propres collègues, les uns contrôlant les autres, c’est bien là la plus insupportable des conditions de travail.

Une démarche pas si originale que cela

Pour la petite histoire, la structure organique sur le plan conceptuel de l’entreprise comme un corps humain proposée par Brian J. Robertson promoteur de l’holacratie, cousine germaine de l’entreprise libérée, n’est pas une nouveauté. Henri Fayol, père de l’organisation hiérarchique des entreprises, utilisait déjà la métaphore du corps humain pour décrire l’organisation idéale, dans son ouvrage « Administration Industrielle et Générale » publié en 1916.

Profit, client, et objectifs, le catéchisme de l’entreprise libérée

La quête absolue de profit, la déification du client et la dictature de l’objectif sont les principes de l’entreprise libérée ou de sa variante l’Holacratie. Ce sont en tout cas les fondamentaux de la thèse développée par Tony Hsieh, fondateur de Zappos dans son livre « L’entreprise du bonheur ».

Ce livre « auto-hagiographique » est toutefois assez intéressant pour mieux comprendre les principes quasi religieux qu’il propose de mettre en oeuvre pour parvenir à une « soumission heureuse » de l’ensemble des salariés aux lois de l’entreprise.

Le développement de l'ouvrage laisse une curieuse impression, une manière d'écho avec une démarche un peu sectaire, comme ne le cache pas le titre qui n’est pas s’en évoquer les accroches des prosélytes d’une secte bien connue que l’on croise à chaque carrefour des grandes villes ces temps-ci. D’ailleurs, il semble bien que c’est quelque part l’ambition de l’auteur.

En effet, il exige un dévouement total, et impose aux salariés des actions permanentes de prosélytisme auprès de leurs proches pour promouvoir la marque et donc dynamiser les ventes. Il n’hésite pas à comparer l’entreprise à une « grande famille ». Ce qui ne l’a pas empêché de procéder à des licenciements massifs pour satisfaire les « investisseurs », mais à son grand regret, écrit-il. Et gare à celle ou celui qui n’atteindrait pas ses objectifs de performance, le bâton est toujours prêt à tomber.

Bref, au delà du décorum, une fois la cosmétique grattée, on se rend à l'évidence que « l’entreprise du bonheur » est bien une entreprise des plus classiques où les salariés sont soumis à la loi du profit maximal, aux objectifs de performance imposés et à la pression permanente du client.

La quête du profit maximal à court terme fausse les règles déjà fragiles des relations au travail entre ceux qui produisent et créent la valeur et ceux qui n’ont en perspective que des repères financiers.

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Et les coopératives, SCOP ou SCIC ?

Une coopérative est aussi un acteur du monde économique. Elle est donc soumise à la quête du profit, aucun doute à ce sujet. Mais elle est fondée sur un principe tout à fait différent des entreprises traditionnelles, libérées ou pas.

SCOP : Société COopérative et Participative (anciennement : Société Coopérative Ouvrière de Production)
SCIC : Société Coopérative d’Intérêt Collectif

Les salariés sont actionnaires de la coopérative, ils disposent de la majorité des voix. Les coopératives pratiquent un mode de démocratie participative pour les décisions importantes ou un individu = une voix. Le dirigeant est d’ailleurs élu par les travailleurs-associés.

Les coopératives visent un profit durable. Une part des bénéfices est impérativement dévolue aux réserves. Dans bien des coopératives et non des moindres, voir le cas Eroski, les employés-actionnaires mettent aussi volontairement dans les réserves leur part de bénéfices. Ils seront ainsi prêts à affronter les périodes de vaches maigres.

La SCOP, pour faire vite

La Scop est une société solidaire et démocratique pour une économie socialement responsable avec un fort ancrage local. Si les entreprises dites libérées se comptent sur les doigts de la main d’un accidenté du travail, plus de 3 000 SCOPs sont opérationnelles et emploient 55 000 travailleurs associés pout tout type d’activité. Il est dommage qu’elles ne bénéficient pas du même éclairage.

3 principes fondamentaux des Scops

La propriété collective, le pouvoir partagé et la réalisation du profit dans l’intérêt des travailleurs-associés, le principe des réserves impartageables, une caractéristique de la pérennité des scops. Voir (Annick Lainé, bibliographie en fin d'article).

La coopérative est un acteur local

Au contraire des entreprises traditionnelles fondées sur l’actionnariat privé, les coopératives, dès qu’elles en ont la possibilité, sont fortement impliquées au sein du développement local.

Voir notamment l’expérience exemplaire de Tower Colliery au Pays de Galles, une mine reprise par ses salariés après sa fermeture malgré la pression politique de l’époque de Margaret Tatcher.
Voir aussi le développement en Argentine après la crise des années 2000.
Ou encore le groupe Mondragòn en Espagne.

Bon, tout n’est pas rose non plus. Il faut affronter la double pression des donneurs d’ordre et de la concurrence. D’autant plus qu’une grande majorité de coopératives exercent leur activité dans le domaine de la sous-traitance. Elles rencontrent évidemment les mêmes problèmes que toutes les PME : gestion de la trésorerie et exigences des donneurs d’ordre.

Leur salut tient dans la diversification et l’accroissement du CA. Tout comme les PME, elles sont soumises à une rude concurrence et le seul moyen de s’en sortir, tout en améliorant les profits, est bien de monte en gamme.

Par exemple, SCOPTI pour se démarquer s’oriente vers le thé et infusions bio aux essences naturelles. Cette coopérative exemplaire, anciennement Fralib, a gagné son autonomie après un très long bras de fer avec le groupe agroalimentaire international Unilever (thé Eléphant). La marque 1336 symbolise le nombre de jours de lutte. Rien n’est vraiment facile pour gagner le droit de reprendre une entreprise abandonnée par ses dirigeants et actionnaires…

3 remarques

L’avantage des SCOPs, c’est qu’en son sein tout le monde a bien compris que chacun a un QI bien suffisant pour produire des idées et que l’élitisme n’était qu’une notion artificielle. En tout cas pour la majorité d’entre-elles.

Je m’inspire des entreprises avec lesquelles j’ai travaillé : fabrication, mécanique sous-traitance automobile et aéronautique, agro alimentaire sous-traitance grande distribution, conception et développement informatique. Il est aussi vrai que c’est au sein de coopératives (pas exclusivement bien sûr) que j’ai rencontré le plus de facilités pour mettre en oeuvre les principes pleinement assumés de délégation du management et de prise de décision en équipe.

Où elles sont admirables, c’est dans leur capacité à reprendre et à redresser une entreprise abandonnée par ses dirigeants. On parle beaucoup du collectif, mais c’est bien dans ces cas où on l’on peut l’apprécier concrètement.

Pour conclure...

S’il existe un « idéal » pour l’entreprise dans un monde au capitalisme débridée, c’est bien du côté de l'autogestion, et donc des coopératives qu’il faudra le chercher. C’est bien la seule structure organisationnelle qui inscrit dans ses statuts les moyens de privilégier durablement l’Homme sur la quête de profits.

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L’auteur

Alain FernandezAlain Fernandez est un spécialiste de la mesure de la performance et de l’aide à la décision. Au fil de ces vingt dernières années, il a accompagné nombre d'entreprise en France et à l'International. Il est l'auteur de plusieurs livres publiés aux Éditions Eyrolles consacrés à ce thème et connexes, vendus à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et régulièrement réédités.
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