Pour bien impressionner son entourage lorsque l'on entreprend en solo, il suffit d'adopter les expressions et tics de langage des startsuppers et autres vendeurs de chimères. Nul besoin de puiser dans le franglais, la langue française se suffit à elle même pour jargonner dans les règles. Par exemple, On ne dit plus patron. Trop ringard. On dit EN.TRE.PRE.NEUR même si l'on est tout seul dans sa boîte. On ne dit plus non plus actionnaire, mais INVESTISSEUR. On ne dit plus salarié, ni même un collaborateur, mais TALENT. Voyons tout cela...
Toi le battant, révise donc ton vocabulaire !
Depuis que la marchandisation systématique et la maximisation des profits sont devenues l'idéologie officielle des politiques de droite comme de gauche (la quête de
com.pé.ti.ti.vi.té qu'ils disent...), s'il y a un cocu dans l'histoire, c'est bien celui qui se lève tôt pour aller trimer dès potron-minet.
Mais bon entre nous, il n'a qu'a faire comme tout le monde et
monter son entreprise.
C'est vrai non ?
D'ailleurs on rencontre de plus en plus de nouveaux entrepreneurs. Une génération spontanée peut-être...
Histoire vécue
Il n'y a pas si longtemps, au cours d'un séminaire que j'animais, l'un des participants m'interpelle pour me faire part de son point de vue. Jusque là, tout va bien. Comme de coutume, il se présente :
"Jean Boche, entrepreneur, chef d'entreprise, président fondateur..
Houh là ! me dis-je in-petto, serait-ce une multinationale qui m'est encore inconnue ?
Je demande des précisions.
En l'occurrence, l'interpellateur n'avait pour le moment fondé qu'une toute petite entreprise en phase de démarrage. Bref ! Il est tout seul et propose, une activité de conseil en management. Pour cela il a monté une SASU.
À une époque pas si lointaine, il se serait présenté comme consultant, conseil indépendant ou encore free lance peut-être. Mais faut croire que les temps ont changé. L'indépendant, le free-lance ne fait plus recette. Désormais il faut être un "En.tre.pre.neur".
On se sent peut-être ainsi plus proche de ceux qui possèdent yacht et jet privé, qui sait ?
Ce n'est d'ailleurs pas un cas isolé.
Au cours d'une soirée un peu chiante, j'en avais croisé un autre qui, bien que son activité soit encore fort jeune, il venait de démarrer quelques semaines plus tôt, était déjà en quête d'investisseurs intéressés par le concept à forte valeur ajoutée (?) qu'il s'apprêtait à lancer sur le marché. Ensuite, me confiait-il, il serait prêt à recruter des "talents".
Plus prosaïquement, il avait eu l'idée d'une nième appli mobile révolutionnaire et il ne pouvait pas en parler de crainte de se faire piquer l'idée...
Ne vous méprenez pas. Je serai toujours à l'écoute des ambitions lorsqu'elles sont concrètes (j'aime bien aussi ceux qui rêvent debout, mais bon, à petite dose quand même). Là, c'est la juxtaposition de ces termes, "investisseurs", "valeur" et "talents", tout comme le ton bien trop assuré employé, qui m'avait fait un peu tiquer.
Adopter le vocabulaire de la start-up nation...
Alors pour en revenir à ceux qui triment,
"camarade"... Euh là non ça ne le fait plus, disons plutôt
"futur collègue entrepreneur", il est temps de réformer ton vocabulaire si toi aussi tu souhaites être un acteur
"performant et compétitif" de ce nouveau monde merveilleux encore à construire.
Comme je suis bien sympa, je te livre ci-après les formules adéquates à utiliser sans retenue afin de paraître branché lorsque tu rencontreras tes
"amis entrepreneurs" et autres partenaires (et concurrents !) qui, comme toi, ont choisi de franchir le pas.
Allez, on commence :
Investisseur
Déjà on ne dit plus un
"actionnaire", mais un
"investisseur".
Ainsi on ne dira pas
"Les actionnaires s'en mettent plein les poches".
Mais on dira :
"Les investisseurs attendent une rémunération proportionnelle à la prise de risques".
Compris ? On continue.
Entrepreneur
On ne dit plus non plus
"patron". Trop ringard. On dit désormais
"entrepreneur", un terme bien plus porteur de dynamisme même s'il ne change rien au rôle de ce dernier.
Et puis, "entrepreneur" rime avec "valeur" et même "créateur de valeur". Ce n'est pas un signe ça ? "Patron", ça rime avec quoi hein ? Raconte-moi un peu...
Ainsi ne dites pas :
" Les patrons ne se préoccupent pas des besoins de la base"
Mais dites :
"Les entrepreneurs sont des créateurs d'emplois"
En effet, dorénavant un entrepreneur est un créateur d'emplois. Il faut apprendre à considérer la conséquence comme la cause, voire même la raison d'être. Il faut oublier qu'un dirigeant est là pour assurer la profitabilité de son entreprise. Il faut oublier que lorsqu'un dirigeant embauche un salarié, ce n'est pas uniquement par bonté d'âme et le plaisir de verser un salaire, mais bien parce qu'il espère que la valeur créée par ledit salarié améliorera le profit, que le solde sera positif. Bref pour embaucher encore faut il avoir de solides perspectives d'amélioration du carnet de commandes.
Lire notamment les témoignages en commentaire de la page instagram "
Balancetastartup" pour mieux saisir le sens de cette évolution de la langue managériale.
Talent
De même, on ne dit plus un
"salarié" ni même un
"collaborateur", c'est dépassé. Non maintenant on parle de
"talent".
Ne dites plus :
"Pour permettre aux actionnaires de s'en mettent plein les poches, les patrons jettent à la rue les salariés des activités les moins valorisées".
Mais dites :
"Les investisseurs jugent favorablement les entrepreneurs qui adoptent une stratégie fondée sur la concentration des talents les plus pointus. Ils voient là la perspective d'une valorisation de leur investissement conforme à la hauteur de la prise de risques.
Compris ?
Alors comment traduiriez vous : "Les patrons ne rêvent que d'une seule chose, casser le droit du travail et supprimer les acquis sociaux conquis de longue lutte."
Facile :
"Il faut commencer par supprimer toutes les entraves qui empêchent nos entrepreneurs de se développer dans une économie de marché toujours plus concurrentielle. C'est bien grâce à la liberté totale de licencier que l'on créera des milliers d'emplois..."
Et pour finir, n'oubliez pas que ce n'est pas un "travail", un "job", encore moins un "boulot" que vous cherchez à décrocher, mais bien un
"challenge", ou un
nouveau défit !
Commentaires des premiers lecteurs
Présentation détaillée du livre "la transformation démocratique de l'entreprise"
L’auteur de l'article
Alain Fernandez est un spécialiste de la mesure de la performance et de l’aide à la décision. Au fil de ces vingt dernières années, il a conduit et accompagné de nombreux projets d'entreprise en France et à l'International. Il est l'auteur de plusieurs livres publiés aux Éditions Eyrolles consacrés à ce thème et connexes, vendus à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et régulièrement réédités.
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RIgolo comme texte. J'aime bien habituellement ce que vous faites mais là ça me questionne un brin. Lorsque vous écrivez ceci "Les investisseurs jugent favorablement les entrepreneurs qui adoptent une stratégie fondée sur la concentration des talents les plus pointus." Vous n'êtes pas d'accord ? Vous pensez qu'il faut se trimbaler des gouffres à fric comme l'administration éternellement ?
Ecrit par : Allibert
L'administration n'était pas le thème que je visais. D'ailleurs il vaut mieux ne pas oublier que l'administration englobe les services publics comme l'école ou la santé pour ne citer que ceux-ci.
D'autre part, dans le monde marchand, il est vrai qu'il est absurde de maintenir sous perfusion des activités qui sont déficitaires à court, moyen et long terme. Mais il est bien plus dangereux de continuer à vivre sous le couperet du ROE (Return On Equity) qui, fixé arbitrairement à 15 %, anéanti purement et simplement des activités rentables dans la durée.
A plus
Ecrit par : afz
L'administration, services publics... C'est vrai, mais pourquoi ne parle-t-on jamias de réduire le budget de l'aqrmée qui est tout de même le duxième après l'éducation nationale hors dettes ?
Ecrit par : Amateur
Billet permettant de prendre du recul par rapport à des concepts entendus quotidiennement... je l'ai repris sur le blog capitalsocial.fr
Ecrit par : Jean-Philippe
Mmh, c'est vrai que la sphère des affaires (entreprises et prestataires de ces entreprises) emploient un jargon agaçant. On n'y comprend plus rien. Pour moi, un boulot, c'est d'aider quelqu'un à faire quelque chose. Quelque chose qu'il aime ou qui lui est utile. Un ami me disait il y a plusieurs années : J'ai retrouvé un contact, sur le Net. Le type m'explique qu'il construit des usines. Je trouve ça simple et ça suffit. On se représente le gars : plannings, outils, partenaires, etc. Ca a du sens. La faune, pourtant intéressante, des rassemblements professionnels (événements, séminaires, etc.) a tout avantage à bosser un "elevator pitch" propre et direct. Ou alors à parler de ce qu'ils font en vrai, au quotidien : je vois ci ou ça, fais ci ou ça, propose ci ou ça à untel ou untel. Qu'en dites-vous ?
Ecrit par : Lionel