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Un regard critique du Big Data

Le Big Data est une révolution en soi, aucun doute à ce sujet. La capacité, toujours en croissance, de stocker d'énormes quantités de données conjuguées à une puissance de traitement phénoménale au sens de ce que l'on connaissait jusqu'ici, implique une profonde évolution de nos modes de fonctionnement. Cela dit, en pratique il ne faut pas non plus dire et faire n'importe quoi. Pour utiliser le Big Data dans ses limites et ne pas se laisser entraîner plus que de raison dans la course au découvertes miraculeuses, il est raisonnable de compenser l'enthousiasme des uns d'un regard critique. C'est là l'objet de cet article.

Le big data, du rêve à la réalité

Le charme du Big Data Depuis déjà quelques années, le Big Data et la course aux algorithmes sont devenus un thème incontournable des médias. Les plus enthousiastes, adorateurs de la dithyrambe, n'hésitent pas à relayer, sans aucun contrôle ni la moindre retenue déontologique, les jolis contes de fées soigneusement élaborés par ces maîtres du storytelling que sont les responsables marketing et les communicants des sociétés vendeur de solutions et des cabinets prescripteurs.

Sans plonger dans l'excès inverse et basculer de la technophilie à la technophobie, il est toutefois prudent de jeter un oeil de l'autre côté du miroir (aux alouettes ?).

Deux conseils pour mieux aborder ces technologies d'avenir :

  • 1) Ne pas accorder des vertus messianiques aux applications du Big Data
  • 2) Se méfier, et le mot est faible, des conséquences de la généralisation des algorithmes dans la société.
Pour approfondir ces deux recommandations, se reporter à la bibliographie en bas de page.

Stratégie de séduction...

La notion de big data, "mégadonnées" ou "données massives", deux traductions types reconnues comme officielles en France, dépasse largement la simple traduction littérale du terme ainsi proposée.

Le Big Data, ce n'est pas uniquement le stockage de très grandes quantité de données. Le big data, c'est aussi la capacité de trier, de classer et d'analyser très rapidement lesdites données.

De tels moyens sont riches de promesses. Les fournisseurs, éditeurs et cabinets de conseils, fraîchement devenus spécialistes, ont rapidement su trouver les indispensables termes marketing pour bâtir une stratégie de séduction, suffisamment efficace pour charmer puis capturer les clients une fois ceux-ci "tombés en pâmoison".

Conception des systèmes

Toutes les modélisations semblent en effet à porter de mains. On va donc tout savoir, c'est sûr, aucun doute à ce sujet. Au cours des deux décennies précédentes, nous avions connu le culte de la qualité, celui de l'orientation client, les conceptions orientées processus et centrées métiers.

Nous avons donc conçu des systèmes d'information à peu près en phase avec ces finalités qui se recoupaient pour une meilleure efficacité de fonctionnement. Bien conduite, le résultat était à terme financièrement perceptible. Le big data nous conduit à un tout nouveau tropisme : l'information.

Le culte de l'information

La valeur est là, c'est l'information et uniquement l'information. Bon OK, me diriez-vous, mais avec de telles quantités de données et les capacités d'analyse ad-hoc, on fera du service client de la qualité etc... comme jamais !
Pas si sûr.
Nous sommes toujours pilotés par les mêmes travers, de véritables TOCs (Troubles Obsessionnels Compulsifs) des décideurs :
  • 1) La quantité prime sur la qualité

    Les données sont collectées sans prendre soin d'en vérifier la vraisemblance, la cohérence et le contexte. On s'imagine que les erreurs sont noyées dans la masse. Grave erreur, "le diable est dans les détails".
  • 2) Les outils priment sur les finalités.

    Les outils, toujours plus sophistiqués, sont perçus comme un recours magique à tous les problèmes difficiles à résoudre.
Autrement dit, on se focalise sur les moyens et on se contente des promesses de rêves à défaut de finalité concrètes. "Avec cette solution, ça sera vachement mieux." Oui mais, mieux pourquoi ? Ce n'est pas la question, pour le moment, il faut s'équiper... Les détails ? On verra plus tard...

Pour mémoire, c'est ainsi que bien des projets d'implantations de solutions de CRM ont purement et simplement foiré...

On souffre d’une croyance absolue dans la donnée.
Croyance numéro 1: "Si les décisions ne sont pas correctes c’est que l’on manque de données pour représenter la réalité." D’où cet engouement irrationnel pour les Big Datas.

Croyance numéro 2, corollaire de la première : "Lorsque l’on aura cumulé toutes les données possibles on disposera alors d’une connaissance absolue du réel. On pourra enfin prendre de bonnes décisions."

Cette double certitude est fondée sur un leurre : la collecte totale des données est en effet impossible ! Et même, faisons un peu de science fiction, imaginons que cette collecte exhaustive soit possible, elle ne permettrait en rien de modéliser le complexe.

Splendeur et misères de la modélisation

En théorie, Un modèle est une tentative de représenter un environnement complexe afin de mieux le comprendre. Un modèle est nécessairement réducteur. On ne peut simplifier que des environnements compliqués jamais un environnement complexe. Or, une modélisation est une certaine forme de simplification de la complexité étant donné que l’on ne peut connaître ni conserver toutes les variables.

En revanche on peut se limiter à une seule question et tenter d’en extraire un sens compréhensif. la modélisation est en effet utile, voire indispensable pour étudier UN aspect de la question, mais pas pour cerner la RÉALITÉ.

Tous les modèles sont faux, mais quelques-uns sont utiles. Une première citation de George Box

Attention toute fois de ne pas supprimer trop de variables pour bâtir un modèle conforme à ses attentes. Quel pourrait être l'intérêt de supprimer les lois de la gravité pour concevoir un nouvel aéronef ?

Pour être exploitable, le modèle doit être construit par un professionnel, un data-scientist, qui connaît le métier de celui qui devra l'utiliser. Ce dernier, le décideur, sait exploiter le modèle, il en connait les limites et pourra tenter d’interpréter dans le bon sens les apports du modèle pour mieux construire ses connaissances.

Les statisticiens sont comme les artistes, ils tombent amoureux de leurs modèles. Une seconde citation de George Box

Or il semblerait que pour bien des projets big data l’approche métier soit délaissée au profit de la technologie.
Cela dit, il serait dommageable d'oublier qu’un humain a aussi ses biais intellectuels. Il s’efforce généralement et malgré lui de retrouver ses idées préconçues, quitte à interpréter les enseignements. Personne n'aime être bousculé au sein de sa propre sphère de croyances. Bref rien n’est parfait dans ce bas monde.

ERP, CRM, Big Data : solutions foireuses, mais vraies vaches à lait !

Un peu esprit critique. Lorsque les marketeurs et publicistes font bien leur boulot de promotion, la technologie du moment occupe rapidement tous les médias et devient la préoccupation numéro 1. On avait déjà vu le film avec les ERP et le CRM. Aujourd’hui, c’est le tour du Big Data et de l'analytique...

Les ERP et l'automatisation des processus

Choisir les bons clients, dessin humoristiqueLes éditeurs de produits technologiques, comme tous les industriels d’ailleurs, sont toujours en quête d’une nouvelle « vache à lait » pour remplir les carnets de commandes, et améliorer significativement la « Bottom Line ».

Pour l’industrie informatique, on a ainsi connu ces vingt dernières années le « miracle des ERP ».

L'ERP ou progiciel de Gestion intégré, tel que le concept fut traduit en français, était la solution magique, en tout cas selon ses promoteurs, pour implanter, automatiser et rigidifier les processus de l’entreprise. Une démarche sensée résoudre tous les problèmes organisationnels et d'optimisation de la performance.

Mais une fois en pratique, sur le terrain, les usines à gaz ont succédé aux promesses de simplification. Soit on contraint l'entreprise pour qu'elle rentre dans le moule, avec toutes les conséquences des changements d'habitudes qui imposent nécessairement des changements d'attitudes toujours, et à juste titre, mal vécus. Soit on casse le moule, et l'on se lance alors dans des développement sans fin et des dysfonctionnement multiples et insolubles.

La principale source de rentabilité des ERP est à chercher du côté des gains obtenus par les réductions d’effectifs... Et encore, pour justifier l'opération, il vaut mieux ne pas hésiter un instant à tricher un peu avec le bilan projet, et ne pas comptabiliser trop de détails afin de modérer les coûts réels de mise en oeuvre et de déploiement de la solution...

Le client "ROI" et les solutions de CRM

De toutes façons, une vache à lait ne dure pas éternellement. La source fabuleuse aux euros finit bien par se tarir. La concurrence est de plus en plus rude, les ventes ralentissent et les solutions de remplacement émergent (cloud, SaaS et Open Source ). Il est alors prudent de trouver sans tarder une solution de remplacement.

C'est ainsi que le CRM, la gestion de la relation client, est arrivé à point nommé pour prendre le relai. Le client était alors devenu le "ROI", l'objet de toutes les attentions. Les entreprises ont pris pleinement conscience du message que Peter Drucker assénait depuis pas mal d’années au fil de ses ouvrages et de ses conférences. C’est bien le client qui doit être au coeur des préoccupations de tout entrepreneur, quel qu’il soit, quel que soit la taille et l’activité de son entreprise. Le commercial n’est plus le seul concerné par la relation client. Le client doit impérativement devenir l’objet d’attention de tout un chacun. Les promoteurs de solutions de CRM usaient de formules jamais démontrées, et d’ailleurs indémontrables, pour étayer le propos. Ils affirmaient ainsi d’autorité que gagner un nouveau client coûtait 7 fois le prix de l’effort nécessaire pour fidéliser un ancien...

Mais pour les fidéliser, encore faut-il bien les connaître ! D’où l’indispensable nécessité des solutions de CRM ! CQFD ! Voilà la solution miracle, la nouvelle vache à lait des vendeurs et consultants !

Mais là encore, les projets s'avèrent bien plus complexes que ne le laisse entendre la plaquette commerciale et les discours lénifiants des experts du moment. Sans une réorganisation de fond de l'entreprise et de sa culture, point de salut !

Une majorité de projets furent abandonnés à mi-parcours. Au mieux, les entreprises ne se contentaient que d’une partie du concept qui ne bouscule pas trop leurs principes de fonctionnement : l’automatisation des forces de ventes.

Le Big Data et l'Analytique

Le Big Data et l’analytique, une technologie pour le moins décoiffante, n’en doutons pas, a rapidement été promu au rang de « miracle technologique » par une industrie en quête d’une nouvelle vache à lait pour rebooster ses ventes.

Pour parvenir à ce stade, les promoteurs ont su redoubler d’efforts pour exploiter à fond le storytelling. Ils n’hésitent pas non plus à abuser de superlatifs et de comparaisons un poil fallacieuses. C’est ainsi que l’on construit un miroir aux alouettes.

Dès 2008, Chris Anderson a placé la barre au plus haut en titrant un article de Wired qui fit date : "The End of Theory: The Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete" (à lire ici).
Le mythe était lancé.

Relayée par la chambre d’écho du web, le mythe pris rapidement de l'ampleur. Le web est une caisse de résonance pas toujours raisonnante, où tout un chacun peut répéter en boucle avec moult détails les miracles de cette technologie sans jamais les avoir vu. C’est toujours ainsi avec les miracles. N’en parlent que ceux qui ne les ont jamais vu.

Ainsi, comme pour le Data Mining il y a une bonne vingtaine d'années, on nous vente des corrélations extraordinaires. Savez-vous que les voitures de couleur orange seraient les plus fiables ? Ou encore que les femmes à grosses poitrines sont les plus addicts à la consommation en ligne ? (via le blog de Tom Davenport). Des corrélations sans causalité, c’est un peu cela que nous conte Chris Anderson avec sa fin de la théorie...

Cela dit pour dénicher quelques corrélations intéressantes encore faut-il disposer d'une base de données plutôt conséquente. Ainsi on nous cite les cas de Google, Facebook, amazon ou Alibaba (les femmes à fortes poitrines) et consors... Le trafic de ces sites base se chiffre en centaine de tera-octets journalier...

Référence du site

Tableaux de bord du manager innovant, le livreLes Tableaux de bord du Manager Innovant
Une démarche en 7 étapes pour faciliter la prise de décision en équipe

Alain Fernandez
Éditeur : Eyrolles
Pages : 320 pages
Prix : 25 Euros
EAN : 978-2212569285
Disponible en librairie
Amazon.fr  Eyrolles.com  Fnac.com

Voir aussi...Toujours dans l'esprit critique


La transformation démocratique de l'entreprise, le livreInstaurer la démocratie dans l'entreprise
Pour en finir avec le mépris, principe délétère du management d'hier et d'aujourd'hui

Auteur : Alain Fernandez
Sujet : Expérience concrète d'instauration de la démocratie au sein d'une PME
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L’auteur

Alain FernandezAlain Fernandez est un spécialiste de la mesure de la performance, de l’aide à la décision et de la conception de tableaux de bord de pilotage. Au fil de ces vingt dernières années, il a conduit de nombreux projets de réalisation de système décisionnel en France et à l'International. Il est l'auteur de plusieurs livres publiés aux Éditions Eyrolles consacrés à ce thème, vendus à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et régulièrement réédités.
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Quelques fiches pratiques :

À lire...

Pour se forger une solide idée de la question, le plus simple et le plus rapide reste encore de s'accorder un peu de temps pour profiter du fruit des travaux des experts qui étudient les impacts humains des technologies et mettent en lumière l'envers du décor.

Un livre court mais précis pour résister aux mythe et mieux comprendre la réalité et les enjeux du Big Data et du "monde des algorithmes"...

À quoi rêvent les algorithmes : Nos vies à l'heure des big dataÀ quoi rêvent les algorithmes
Nos vies à l'heure des big data
Dominique Cardon
La république des idées
105 pages
Dispo :
www.amazon.fr


Pour Evgeny Morozov l'essor totalement débridé des technologies n'est qu'un moteur de plus de l'économie ultra libérale. Il n'est que temps que nous, les citoyens, reprenions les technologies et nos données en main. En deux mots, au fil de cet ouvrage, Evgeny Morozov nous démontre sans tergiverser que l'essor des technologies totalement débridé, tel qu'il est conduit par la Silicon Valley et la multiplication des starts-up Hitech, n'est qu'un moteur de plus de l'économie ultra libérale. Il n'est que temps que nous, les citoyens, reprenions les technologies (et nos données !) en mains, avant d'être pris au piège et d'en subir toutes les conséquences. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Evgeny Morozov est un spécialiste des technologies et de leurs utilisations. Il est largement connu et reconnu dans le monde anglo-saxon pour la qualité de ses raisonnements particulièrement bien construits et son style plutôt direct.

Le mirage numérique : Pour une politique du Big DataLe mirage numérique
Pour une politique du Big Data
Evgeny Morozov
Les Prairies Ordinaires
144 pages

Dispo : www.amazon.fr


Pour bâtir un solide support décisionnel, il vaut mieux disposer de méthode. L'ouvrage de référence auprès des managers, consultants, chefs de projets décisionnels, formateurs et enseignants. 40.000 exemplaires vendus...

Nouveaux tableaux de bordLes nouveaux tableaux de bord des managers
Le projet décisionnel en totalité
Alain Fernandez   Eyrolles  6ème édition
495 pages
Dispo :
Voir ici www.amazon.fr, www.eyrolles.com
& PDF ou ePub   Format Kindle


Un ouvrage accessible pour mieux comprendre le principe du Big Data et du Machine Learning...

Big Data et Machine LearningBig Data et Machine Learning
Les concepts et les outils de la data science

Pirmin Lemberger, Marc Batty, Médéric Morel, Jean-Luc Raffaëlli
Dunod 3ème édition 2019
272 pages

Dispo : www.amazon.fr


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